Anthologie Suisse de Science-fiction

Extrait

L’air était chargé de sueur et d’hémoglobine. Heureusement, la rentrée dans l’atmosphère créait un boucan assourdissant. Les hurlements de douleurs étaient recouverts par les rugissements de la carcasse de notre vaisseau. Notre nef flirtait avec son point de rupture. Nous étions trop épuisés pour nous en inquiéter. Sur ma droite, un de mes caporaux avait perdu connaissance, ainsi que ses deux jambes, sur ma gauche, une nouille, un simple soldat, tentait d’attraper le Grütli savait quoi avec sa main fraîchement amputée. Les combats dans la grande ceinture d’astéroïde nous avaient glacé le sang, cinq semaines de campagne ininterrompues. Nous partions au front sans autre instruction que nos quatre mois d’école de recrues et notre entendement du terrain. Si je restais en vie, après trois années de batailles, je le devais à cette dernière. Rien ne vous préparait à la guerre.

Nous atterrîmes en douceur. Les cris redevinrent audibles. J’aidai mes compagnons à s’extirper du transporteur, secondai les infirmiers pour porter les blessés graves et fermai les sacs à cadavres. Je récupérai les plaques des décédés et les jetai dans ma fonte informe, rouge fer. Je devais annoncer à une dizaine de familles que leur progéniture ne reviendrait jamais à la maison pour jouer au hornuss ou faucher les foins. Comme tout le monde, je détestais ces tournées, mais cela demeurait le rôle du lieutenant. Mener ses troupes au combat, regarder les larmes de leurs géniteurs et essayer de déchiffrer la variante locale du dütsch.

La dernière housse mortuaire se scella hermétiquement, dans un chuintement qui rappelait le crissement d’une fourchette sur la porcelaine. J’attrapai mon harnachement et sorti du vaisseau. Les corps seraient récoltés plus tard et les membres cybernétiques recyclés, tout comme les organes viables. Rien ne se perdait, nous subissions de tels dommages que les médecins nous remettaient sur pieds au plus vite et à moindre coût. Il n’y avait pas plus économique et rapide que se servir sur des cadavres. Cultiver un rein en cuve prenait un trimestre et les abattis bioniques étaient si dispendieux, que les armées laissaient, usuellement, leurs soldats au repos durant presque une année avant de les renvoyer au front, le temps qu’ils s’adaptent, se rétablissent complètement et gèrent les traumatismes. Nous repartions à la boucherie avant la fin du mois. Les rejets d’implants se généralisaient, mais comme vous reveniez, dans les semaines qui suivaient, mort ou à nouveau blessé, cela importait peu. On vous changeait les pièces défectueuses, comme pour une machine. Mes poumons avaient été remplacés trois fois. Mon genou gauche était artificiel, dans un alliage synthétique. Mon bras droit arborait un titane alvéolé, chromé et décoré par mes soins lors des longues heures d’attentes. Quant à ma rate et mes yeux, ils avaient appartenu à mon dernier lieutenant, jusqu’à ce que j’hérite de sa position et de quelques morceaux de son anatomie. Je la détestais. Elle était prétentieuse, arrogante, lâche et issue de la bourgeoisie de Freienbach. Cela l’aurait fait enrager qu’une secondos reçoive ses précieuses pupilles à l’iris doré.

Critiques de l’anthologie

Illustration de couverture
© Krum